Retour De la maltraitance à la bientraitance : Évolution des regards sur les bébés et les personnes âgées

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Bébé, enfant, adulte vulnérable : quel regard sur la maltraitance aux différents âges de la vie

Publié le 3 novembre 2023

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Bébé, enfant, adulte vulnérable : quel regard sur la maltraitance aux différents âges de la vie

En 1984, le documentaire “Le bébé est une personne” a trouvé une résonance considérable au sein du grand public et des professionnels de la petite enfance. Des éléments scientifiques attestant de la présence au monde du nouveau-né, mais aussi avant sa naissance, pointaient ainsi l’importance de communiquer avec lui. Jusqu’alors, les approches de puériculture visaient avant tout à répondre aux besoins essentiels du bébé (le nourrir, le changer, veiller à son sommeil). Ces approches sont dites hygiénistes dans le sens où on considère que prendre soin, c’est d’abord et avant tout assurer les actes essentiels au maintien en vie des fonctions vitales. C’est cette vision partielle des besoins du bébé que vient remettre en question le documentaire. Non, le bébé n’est pas un être en devenir, il est un être humain à part entière aux capacités de perception et de compréhension incroyablement élevées. Ses besoins vitaux ne sont pas seulement fonctionnels, biologiques, ils sont aussi psychologiques et sociaux. Le manque d’affection et de relations sociales chez un bébé nuit autant à son développement physique et psychologique que le manque de soin physiologique. C’est même une question vitale.

Comme un clin d'œil, Martine Gruère, vice-présidente de l’association Old’up, titrait en 2023 une de ses chroniques “Le vieux est une personne”. Ce titre est une façon de critiquer la manière dont on considère les aînés dans la société, avec un mélange de paternalisme condescendant et de considérations hygiénistes, mais il est aussi une invitation au changement.

 

La maltraitance : un changement de regard ?

Il y a peu, on considérait le bébé comme un être mû par des besoins exclusivement physiologiques (“un klaxon monté sur un estomac”). Depuis nous avons changé notre regard sur ses besoins, transformant par là-même les pratiques des professionnels de la petite enfance.

Des changements similaires sont survenus au cours des derniers siècles concernant la place des enfants dans la société. Notre conception de l’enfance a considérablement changé, et avec elle, les droits de l’enfant et les pratiques éducatives. Ainsi, la loi du 10 juillet 2019 relative à l'interdiction des violences éducatives ordinaires pose que désormais “l'autorité parentale s'exerce sans violences physiques ou psychologiques”. Le droit de correction des parents envers leurs enfants, comme la fessée ou la gifle, est officiellement répréhensible. Sur un autre plan, mais tout aussi révélateur des changements de mentalité, on prend aujourd’hui conscience avec horreur du silence tolérant qui a entouré, des décennies durant, les violences sexuelles commises sur tant de personnes mineures.

Si l’histoire nous montre qu’il existe des formes de violences acceptables et légitimes à l’égard de certains individus, elle nous montre aussi que rien n’est immuable. Certes, la violence, qu’elle soit physique, symbolique ou sociale, est immuable. En revanche, les formes de son acceptation changent au fil des époques, au gré des mentalités et des rapports sociaux. La notion de maltraitance est très liée à l’évolution des droits. Un mauvais traitement autorisé par la loi n’est pas un mauvais traitement, qui plus est si la morale le cautionne. C’est assez criant pour les droits des femmes. Comment en serions-nous venus à nous interroger sur la question du consentement s’il n’y avait pas eu toutes ces lois majeures libérant les femmes du sceau de l’incapacité juridique qui faisait d’elles des personnes mineures passant de l’autorité du père à celle du mari ?
 

La loi n° 2022-140 du 7 février 2022 relative à la protection des enfants considère qu’il y a maltraitance d’une personne en situation de vulnérabilité « lorsqu’un geste, une parole, une action ou un défaut d’action, compromet ou porte atteinte à son développement, à ses droits, à ses besoins fondamentaux ou à sa santé et que cette atteinte intervient dans une relation de confiance, de dépendance, de soin ou d’accompagnement ».

Âgisme et maltraitance

Les mentalités évoluent, comme change également la sensibilité de la société aux questions de maltraitance et de bientraitance à l’égard des individus les plus dépendants.

L’électrochoc et l’indignation produits par le livre Les Fossoyeurs de Victor Castanet montre bien cette évolution des sensibilités. Pendant longtemps on ne s’intéressait pas ou peu à la maltraitance vis-à-vis des personnes âgées, comme si cela n’existait pas. Tabou, privée ou allant dans l’ordre des choses, elle ne faisait pas partie des faits sociaux méritant un traitement social spécifique. En France, il faudra attendre le début des années 1990 pour commencer à en parler, sous l'impulsion du professeur Hugonot dont les initiatives aboutiront à la création en 1995 du réseau ALMA (ALlo MAltraitance). Mais combien de cris d’alerte aura-t-il fallu depuis pour entendre celui de Victor Castanet en 2022 ?!

Nos représentations sociales des âges de la vie ont évolué. Néanmoins, la vieillesse reste associée à une perte de légitimité dans la société, en lien avec le déclin des capacités fonctionnelles qui accompagne le vieillissement. Qu’elles soient malades ou non, dépendantes ou non, à partir d’un certain âge, les personnes sont considérées comme trop faibles, si ce n’est trop dégénérées, pour pouvoir se gérer correctement et assurer les devoirs propres à tout individu majeur. Cette dévalorisation de la vieillesse et cette espèce d’invalidation dont sont l’objet les plus âgés participent à la maltraitance des aînés. C’est ce que met en avant l’Organisation Mondiale de la Santé qui considère l’âgisme comme un facteur majeur de maltraitance à l’égard des personnes âgées.

 

Nos conceptions du mal évoluent, de même que nos conceptions du bien. Et les deux ne sont pas non plus similaires. Cela peut surprendre, mais la bientraitance ne se réduit pas à l’absence de maltraitance. C’est plus que cela, c’est une posture morale et éthique que l’on cherche à adopter à l’égard de personnes plus fragiles, vulnérables ou dépendantes. La bientraitance passe donc forcément par la mise en critique de ses propres conduites afin de toujours tendre vers une prise en compte de l’autre la plus respectueuse possible de son individualité, de ses capacités, de son niveau d’autonomie, et bien sûr des droits humains.


 

Véronique Cayado, docteure en psychologie, ingénieure de recherche à l’Institut Oui Care, autrice du livre “Tu comprendras quand tu seras vieux. Petit manuel anti-préjugés grand âge” publié aux Editions du Palio.

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